- ORGANISATIONS (THÉORIE DES)
- ORGANISATIONS (THÉORIE DES)La théorie des organisations est née au début du siècle des efforts déployés par certains chefs d’entreprise, comme Taylor ou Fayol, pour dégager des principes d’administration et de direction du travail. Elle s’est développée tout particulièrement dans les années trente, avec l’enquête effectuée à l’usine de la Western Electric, dans la ville de Hawthorne. Elle s’est alors constituée en discipline scientifique autonome, regroupant des chercheurs des diverses branches des sciences humaines: psychologues et psychosociologues, sociologues, économistes, juristes et historiens, spécialistes du management. La théorie des organisations est, à l’heure actuelle, enseignée en France dans les écoles d’ingénieurs et de préparation aux professions commerciales, ainsi que dans les universités (psychologie, sociologie et gestion). Elle a pour but de rassembler, dans un corps de doctrine unique, les connaissances acquises sur le fonctionnement des organisations, sur la manière dont il convient de les diriger, sur le comportement des différents membres qui les composent, sur les motivations de ceux-ci, sur les processus qui régissent la communication entre eux et la manière dont ils prennent leur décision.Le taylorismeC’est Taylor qui, en 1911, a jeté les bases de la théorie des organisations, en émettant l’idée que la direction d’une entreprise est une science, au même titre que celle de l’ingénieur, et non un don propre à certaines personnes. Le bon directeur est celui qui organise l’entreprise de façon à donner satisfaction à l’employeur, comme à l’employé, pendant un fonctionnement de longue durée. Pour cela, il faut augmenter le rendement de l’organisation, sans accroître le temps de travail. La direction doit faire en sorte que l’ouvrier, sans avoir des conditions de travail plus pénibles, mais en recevant un salaire plus élevé, produise davantage. Il s’agit donc de transformer l’ouvrier moyen en un très bon ouvrier. Ce résultat sera obtenu par un système de primes au rendement. Le spécialiste en temps et mouvements, comme disent les tayloriens, calculera le pourcentage d’augmentation du salaire en fonction de la nature et de la difficulté de la tâche. Quel que soit le taux de la prime, il faut obtenir qu’à chaque ouvrier soit confiée, dans la mesure du possible, l’exécution d’une tâche correspondant à l’utilisation optimale de son habileté et de ses aptitudes physiques.On peut alors lui demander une quantité de travail égale à celle qu’un très bon ouvrier de sa catégorie est habituellement capable de fournir. De cette façon, il perçoit, suivant la nature de ses travaux, entre 30 et 100 p. 100 de plus que la moyenne des travailleurs de sa classe.Taylor a voulu montrer qu’il existait un temps minimal dans lequel un ouvrier de premier ordre peut exécuter une tâche donnée; c’est ce qu’il appelle le «temps normal», pour le travail considéré.La théorie des organisations a retenu du taylorisme la conception selon laquelle la direction d’une organisation ne relève ni du génie individuel ni d’aptitudes personnelles, mais d’une technique qui s’apprend. Elle ne lui est pas seulement redevable de cette idée. En assignant à un spécialiste, l’ingénieur des temps et des mouvements, la tâche de déterminer le taux d’augmentation des salaires et le temps de travail minimal pour chacun des employés d’un atelier, Taylor a également compris qu’à côté des hommes de l’organisation il y a place pour des personnes chargées de fonctions d’organisation. Il a, de ce point de vue, ouvert l’entreprise aux chercheurs des sciences humaines et aux études sur le comportement de l’homme au travail.On peut néanmoins lui adresser plusieurs reproches.Taylor a traité l’organisation comme un milieu clos, sans tenir compte des relations que l’entreprise, qui est une micro-organisation, entretient avec la société globale, macro-organisation dans laquelle elle se trouve placée. Il a, certes, examiné rationnellement la façon d’améliorer le travail de l’ouvrier, mais il n’a pas abordé l’étude des modes de prise de décision des dirigeants et des agents de l’organisation, si bien que sa science de la direction n’est qu’une science du travail. Celle-ci prend l’ouvrier comme une machine, dont la seule motivation est de gagner plus d’argent. Elle est tout entière centrée, ainsi que J. G. March et H. A. Simon l’ont remarqué, «sur les activités physiques de base qui sont impliquées dans la production». Le travail de l’ouvrier y est pensé à partir du modèle mécaniste. Ce qui montre bien, comme le précisent encore March et Simon, que «Taylor et ses associés ont étudié avant tout l’emploi des hommes comme auxiliaires des machines dans l’exécution des tâches de production routinières». Si Taylor a rendu possible l’essor des travaux sur l’automation, et les aspects répétitifs du travail humain, il a donc, en revanche, complètement négligé les sentiments de l’ouvrier, c’est-à-dire la dimension psychologique et psychosociologique du travail que devaient ensuite prendre en compte les «relations humaines». Ainsi le taylorisme, pour lequel le membre de l’entreprise n’est pas un agent capable d’effectuer un calcul rationnel relativement aux objectifs de son action, hormis ce qui concerne sa rémunération, est-il essentiellement, comme l’écrivent March et Simon, «une théorie physiologique des organisations».Né, enfin, de l’analyse des tâches les plus simples, le taylorisme ne s’applique pas au travail intellectuellement complexe. Prévoir le lancement d’un produit sur le marché, ou diriger une équipe de chercheurs scientifiques, relève d’un type d’activité qui obéit à des lois toutes différentes de celles qui régissent les travaux manuels routiniers.Après Taylor, ou parallèlement à lui, la théorie des organisations s’est préoccupée des problèmes d’administration générale et de décision administrative. C’est dans ce domaine qu’a travaillé Henri Fayol.Henri Fayol et la théorie de l’administrationQu’est-ce qu’administrer, selon Fayol? C’est prévoir; «organiser», au sens fort du terme, «constituer» l’organisme qu’est l’entreprise; c’est commander, permettre au personnel de remplir ses fonctions en lui donnant des ordres; c’est aussi coordonner, harmoniser les efforts et les travaux de chacun dans un ensemble; c’est enfin contrôler, veiller au respect des ordres et des règles établis. Telles sont les cinq fonctions administratives, étant entendu qu’il ne faut pas confondre «gouverner», qui est assurer le meilleur fonctionnement de l’organisation dans les opérations essentielles précédemment mentionnées, et «administrer», qui correspond plus spécifiquement à la dernière de celles-ci.Il revient à Fayol d’avoir insisté sur la nécessité dans laquelle se trouvent les responsables d’organisation d’acquérir une formation administrative. Par rapport au taylorisme, sa théorie représente donc un progrès: elle n’est pas seulement une science du travail, elle traite de l’organisation humaine, qui n’a plus pour seule fin le rendement, mais le meilleur fonctionnement global de l’entreprise, et qui, par conséquent, concerne davantage les dirigeants que les exécutants. Il s’agit d’effectuer la rationalisation d’un tel ensemble. À cette fin, il est essentiel de dresser des «tableaux d’organisation» qui permettent de saisir d’un coup d’œil l’ensemble de l’organisme, les services, leurs structures et la filière hiérarchique. C’est par l’étude minutieuse de ces tableaux, ancêtres de ce qu’on appelle aujourd’hui l’organigramme, qu’on découvrira tous les défauts d’organisation, ou qu’on décèlera l’absence d’unité dans le commandement, qui constitue la faute la plus grave aux yeux de Fayol.Ce dernier a dégagé quatorze principes d’administration. Parmi les plus significatifs, le principe d’autorité est posé comme «le droit de commander et le pouvoir de se faire obéir». Barnard a montré par la suite que l’autorité ne peut se définir à partir de celui qui la détient, mais de celui qui l’accepte: une autorité non reconnue n’est pas une autorité. Annonçant encore Barnard, Fayol ajoute que l’autorité est inconcevable sans responsabilité, c’est-à-dire sans une sanction – récompense ou pénalité – qui accompagne l’exercice du pouvoir. Le principe de l’unité de commandement est resté célèbre: «Pour une action quelconque, un agent ne doit recevoir des ordres que d’un seul chef.» En termes mathématiques, la hiérarchie doit être schématisable en arbre, et non en réseau. On sait que dans un arbre un seul chemin est possible pour aller en un point donné, tandis que dans un réseau il existe plusieurs voies pour se rendre au même point. Un agent qui peut recevoir des ordres de plusieurs chefs est embarrassé: il ne sait auquel obéir. Les instructions reçues peuvent être contradictoires. L’unité de commandement, au contraire, permet la sûreté et la rapidité de l’exécution. À ce principe, qui s’applique à la façon dont les ordres, dans chaque service de l’organisation, sont transmis au personnel, Fayol ajoute celui de l’unité de direction, qui concerne la structure globale de l’entreprise. Fayol précise que: «L’unité de commandement ne peut exister sans l’unité de direction, mais elle n’en découle pas.» On peut, enfin, signaler, dans l’analyse fayolienne de la hiérarchie, l’intérêt du principe de la «passerelle». Il s’agit de prévoir, dans la voie hiérarchique, des passages directs d’un service à un autre, sans que l’on soit obligé de remonter jusqu’au chef suprême. Nécessaire pour la rapidité de l’action, ce dispositif ne contredira pas le principe de la hiérarchie, si les agents qui entrent en contact le font avec l’accord et l’autorisation préalables de leurs supérieurs directs.Ces principes d’organisation devaient, dans l’esprit de Fayol, prendre place dans un «code administratif» qu’il appelait de ses vœux. La nécessité de constituer une science de l’administration ne lui avait pas échappé. C’est par son souci de la voir naître qu’il représente une étape très importante dans l’histoire de la théorie des organisations où il annonce Urwick, Gulick et Barnard aussi bien que MacGregor ou Argyris.Le mouvement des relations humainesLes travaux qui ont donné naissance à ce mouvement sont ceux qu’Elton Mayo a effectués de 1927 à 1932 à l’usine de la Western Electric, à Hawthorne. Parti d’une hypothèse taylorienne sur le lien entre les conditions matérielles du travail et la productivité, Mayo a découvert l’importance du climat psychologique et des modalités du commandement sur le comportement au travail. Il a mis l’accent sur les relations de groupes qui se constituent entre les travailleurs. Après avoir observé qu’entre différents groupes se forment des clivages qui ne sont imposés ni par la direction ni par les contraintes du travail, mais qui sont dus aux agents de l’entreprise eux-mêmes, il a compris qu’il existe des normes propres aux groupes, normes qui sont relatives au niveau de production et aux relations avec les supérieurs. En outre, les enquêteurs se sont aperçus qu’une fois situé dans l’organisation sociale de l’ensemble de l’usine, le groupe apparaît comme le moyen spontanément élaboré par les ouvriers pour résister aux ingérences de l’extérieur, celles des techniciens ou des supérieurs. Mayo en a conclu qu’il faut comprendre l’organisation comme étant un «système social»: les sentiments des travailleurs, leurs motivations ne peuvent se comprendre qu’à partir de l’ensemble des relations qu’ils entretiennent avec les divers groupes, et notamment les techniciens et les chefs. Les ouvriers, cependant, redoutent les changements, fondés sur des logiques spécialisées (coût, efficacité), que directeurs ou spécialistes en organisation du travail peuvent introduire; pour y échapper, ils engendrent des groupes informels qui élaborent des normes et font respecter des codes particuliers; ce qui explique certains freins mis à la production. Mayo terminait son enquête sur la nécessité de tenir compte, à l’avenir, de l’existence de ces groupes informels. Il lui semblait urgent de prendre en considération le désir des travailleurs, qui n’est pas seulement d’améliorer leurs conditions matérielles d’existence, mais d’être socialement reconnus, d’exercer un travail valorisé, d’avoir de bonnes relations avec leurs supérieurs hiérarchiques. C’est sur tous ces points que théoriciens et praticiens des relations humaines se sont penchés.L’expérience de la Western Electric a eu un retentissement considérable. Dès 1935, les recherches sur les relations humaines se sont multipliées, mais ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que les relations humaines sont devenues objet d’enseignement et de formation. Il est impossible ici de rendre compte de l’ensemble des résultats obtenus par ces recherches, toutes centrées sur l’étude des motivations. L’analyse portera donc sur ce que l’un des auteurs les plus importants et les plus récents du mouvement, D. MacGregor, a appelé la «théorie Y». MacGregor insiste sur la nouveauté de sa théorie de la direction, même par rapport à la première époque des relations humaines. Le premier principe de la théorie Y est directement tourné contre le taylorisme et ses applications: selon ce principe, l’homme n’est pas naturellement réfractaire au travail, il peut, au contraire, y trouver source de satisfaction. Le second principe met en relief l’importance de la responsabilité du travailleur: la crainte de la sanction n’est pas le seul stimulus au travail; un objectif clairement défini, et qui engage la responsabilité du travailleur, est aussi une incitation puissante à l’action. La réussite de l’action entreprise et l’atteinte de l’objectif sont, en soi, une satisfaction pour l’acteur. La prime au rendement n’est pas seulement la récompense de l’action réussie. Le sujet se réalise lui-même par l’atteinte des objectifs de son action. L’individu moyen, d’ailleurs, ne cherche pas naturellement à fuir les responsabilités. Tout homme est capable de les rechercher et souhaite en prendre. Enfin, MacGregor estime que les principes d’organisation qui régissent les sociétés industrielles modernes ne permettent pas de tirer le meilleur parti de la capacité de l’homme moyen.Il s’agit donc, pour les directeurs, de tenir compte des capacités de l’individu considéré et d’adapter leur style de direction aux agents qu’ils ont à leur disposition. Ainsi que l’écrit MacGregor: «Le principe central qui découle de la théorie Y est celui d’intégration: la création de conditions telles que les membres de l’organisation puissent atteindre leurs propres buts avec le plus de succès en dirigeant leurs efforts vers la réussite de l’entreprise.» Il faut faire en sorte que le contrôle, au lieu d’être exercé par la direction, le soit par les travailleurs eux-mêmes. MacGregor remarque, comme Barnard l’avait fait avant lui, que les objectifs organisationnels ne sauraient être atteints si ceux des agents ne sont pas en même temps, dans une certaine mesure, réalisés. Pour la théorie Y, une organisation qui ne tient pas compte des buts et motivations personnelles de ses agents est une mauvaise organisation. Ainsi l’avancement, les changements de poste ne peuvent se faire d’une manière efficace s’ils ont lieu contre la volonté de l’employé. Barnard avait déjà montré qu’une action organisationnelle doit être à la fois efficace, c’est-à-dire atteindre les buts qu’elle s’est fixés, et efficiente, c’est-à-dire donner satisfaction aux acteurs. Il n’est évidemment pas question de réaliser une intégration parfaite. MacGregor, comme Barnard, sait bien qu’une telle ambition ne serait pas raisonnable. Il s’agit d’essayer de trouver, dans chaque cas concret, la conciliation optimale entre les objectifs organisationnels et ceux des divers acteurs. Il s’agit d’obtenir l’engagement des membres envers les objectifs organisationnels, c’est-à-dire de faire en sorte que l’individu puisse satisfaire ses aspirations personnelles et son besoin de valorisation individuelle dans son travail.Les assomptions de la théorie Y sont celles sur lesquelles reposent les efforts de tous ceux qui, tel MacGregor, essaient de donner une «dimension humaine» à l’entreprise. Dans la même ligne de pensée s’inscrivent, par exemple, les travaux de Chris Argyris, qui visent à montrer comment l’«énergie psychologique» de l’individu peut être accrue, pour son plus grand bien et celui de l’organisation qui l’emploie. Argyris veut, comme MacGregor, accroître les responsabilités du travailleur de l’organisation. Il cite à cet égard la formule de E. Fromm, qui considère que la tâche de l’homme moderne est de se construire une liberté consistant à avoir plus de responsabilités. Tout homme, en effet, a besoin de donner un sens à sa vie, il doit constamment s’inventer des tâches à accomplir. C’est pourquoi la tension qui existe entre les objectifs organisationnels et ceux des individus, loin d’être source de blocage, est, au contraire, ce qui aidera peut-être l’homme et l’organisation à accroître leurs efficacités respectives. Plus l’individu s’estimera lui-même et se sentira compétent, plus son travail organisationnel sera efficace. Argyris pense donc, comme MacGregor, qu’il faut modifier profondément la pratique directoriale si l’on veut permettre cette prise de responsabilités. Ce qui, pour eux, ne signifie nullement qu’ils rejettent tout autoritarisme et veulent la destruction de la structure pyramidale de la hiérarchie; il est nécessaire que cette structure subsiste, mais assortie d’autres formes de relations entre employeurs et employés, et d’éléments favorisant la prise de responsabilités de chacun. La structure pyramidale n’est pas abandonnée, mais elle n’est plus conçue comme devant être l’unique structure de l’organisation hiérarchique.Il faut, d’autre part, que les dirigeants de l’organisation fassent un effort pour élargir les tâches de chacun des agents. Cet élargissement des tâches est nécessaire pour que les membres de l’organisation s’intéressent à son bon fonctionnement. Argyris recommande, pour atteindre cet objectif, la création de réunions de groupes, où les employés pourraient émettre un diagnostic sur la santé de l’entreprise.Quelles que soient les solutions proposées pour améliorer les structures organisationnelles, tous les auteurs du mouvement des relations humaines ont, ces dernières années, mis l’accent sur la nécessité d’accroître les responsabilités des agents, surtout ceux du bas de l’échelle hiérarchique, et de promouvoir, non à la place mais à côté de la structure pyramidale, de nouvelles relations d’autorité et de contrôle entre supérieurs et subordonnés. C’est aussi le cas des spécialistes dont les travaux dérivent de ceux du Tavistock Institute.La «socioanalyse» des organisationsLe terme de «socioanalyse» a été forgé par Elliott Jaques, médecin psychanalyste anglais, longtemps attaché au Tavistock Institute of Human Relations, centre britannique fort important de recherches en sciences humaines, qui a également eu pour membres les célèbres psychiatres R. D. Laing et D. Cooper, dont les études sur l’organisation familiale ont contribué à donner naissance à l’antipsychiatrie. Jaques a voulu appliquer à la théorie des organisations les principaux concepts de la psychanalyse en empruntant la voie ouverte par Freud lui-même dans Psychologie collective et analyse du Moi (1921). La socioanalyse est l’étude des comportements des individus en groupe, des attitudes conscientes et inconscientes des groupes, des mécanismes de défense forgés par ceux-ci pour se protéger de toute ingérence extérieure. Le socioanalyste doit prendre l’attitude d’abstinence du psychanalyste: il n’a pas à intervenir par ses conseils dans le fonctionnement de l’organisation; il revient à cette dernière de prendre elle-même conscience des causes de ses dysfonctionnements. Jaques, qui travaille depuis vingt ans dans une grande entreprise anglaise de métallurgie et de construction mécanique, la Glacier Metal Company, réunit en séances de discussion des membres de toutes les catégories socio-professionnelles de l’entreprise pour qu’ils prennent conscience des problèmes de fonctionnement de celle-ci. L’objectif est de rendre manifeste à l’organisation ses propres tensions internes. Comme le psychanalyste peut l’observer avec son patient dans la cure individuelle, Jaques repère l’ambivalence de l’attitude de l’organisation envers le traitement. C’est que, à l’instar du patient dans la cure, elle craint autant le changement qu’elle le désire. Le socioanalyste fera advenir à la conscience des membres de l’organisation ces réticences et ces craintes pour qu’ils en triomphent.Ce que Jaques appelle la «culture» d’une organisation désigne les comportements types qui s’y trouvent adoptés.La théorie des organisations se doit donc d’étudier les interactions qui existent entre la structure sociale de l’organisation, sa culture et la personnalité de chacun de ses membres. De ce point de vue, Jaques insiste sur l’importance de la clarification des rôles joués par chacun des agents – souvent, la confusion des rôles a une fonction précise, et inconsciemment motivée: elle est une défense contre l’anxiété qui étreint les individus lorsqu’ils saisissent les contradictions qui existent entre leur personnalité et le ou les rôles qu’ils assument. Aussi estime-t-il que la constitution d’un organigramme clair et accepté par tous est une condition indispensable à la bonne marche d’une organisation. Il faut, de même, que la communication fonctionne bien, ce qui ne signifie pas que les agents doivent communiquer à tout prix. Jaques distingue, à ce sujet, ce qu’il appelle la «ségrégation adaptative» et la «segmentation inadaptée» de la communication. La ségrégation adaptative permet aux agents d’éviter les excès de la communication pour la communication; c’est ainsi que Jaques juge l’attitude d’abstention de nombreux travailleurs à l’égard du comité d’entreprise car elle permet l’autosélection des agents intéressés pour remplir les fonctions de consultation qu’il exerce. La segmentation inadaptée, au contraire, est un frein à la bonne marche de l’entreprise. Elle provient des tensions entre les différents groupes. Celles-ci ralentissent ou rendent impossible la transmission d’informations importantes.L’étude de Jaques a permis de saisir des éléments importants que l’analyse classique des relations humaines ne pouvait pas atteindre. L’idée d’un inconscient groupal, héritée de Bion (1943), et reprise en France par D. Anzieu, comme celle de défense des organisations contre les interventions extérieures ont été pour la recherche d’incontestables stimulants. Elles ont donné naissance à une nouvelle technique d’intervention psychosociologique.La théorie actionniste des organisationsLa théorie actionniste est issue des travaux de Talcott Parsons et, plus lointainement, de ceux du grand sociologue allemand Max Weber. Tout système social – et l’organisation en est un – peut être compris à partir de l’action des différents agents qui le composent. Celle-ci est signifiante: l’acteur obéit à des mobiles, à des motifs, poursuit une fin qu’il s’est préalablement fixée, compte tenu des objectifs organisationnels et de ses visées propres. L’auteur auquel il est classique de se référer et qui est le premier à avoir abordé le problème de cette manière est Chester Barnard (1938). Il distingue système coopératif et organisation: dans celui-là, la fin de l’action collective est fixée par les différents acteurs, et ne dépend que d’eux, tandis que, dans celle-ci, elle est préétablie à l’avance et en dehors des agents dont la seule tâche est de la réaliser. Toute organisation est un système coopératif, mais l’inverse n’est pas vrai: tout système coopératif n’est pas une organisation. Des amis qui se réunissent ensemble pour jouer au football constituent un système coopératif; les employés d’une firme sont les agents d’une organisation dont la structure, les fins et le système des rôles et statuts ont été prédéterminés et dans laquelle ils s’insèrent. Le problème des organisations, pour Barnard, est de constituer un système, c’est-à-dire de réaliser l’intégration de ses membres, et de parvenir à la meilleure adaptation possible à l’environnement. Pour ce faire, il convient, en particulier, de concilier, dans la mesure du possible, efficacité et efficience de l’action. Une action est efficace lorsqu’elle atteint les buts qu’elle s’est fixés; elle est efficiente si elle donne satisfaction aux mobiles et aux motifs individuels des acteurs. Comme le note Barnard, une action peut être efficace sans être efficiente, mais elle ne peut être efficiente sans être efficace. Dans la lignée des travaux de Barnard s’inscrivent de nombreuses recherches. En France, M. Crozier, dans Le Phénomène bureaucratique et dans L’Acteur et le Système (écrit en collaboration avec E. Friedberg), a également voulu construire une théorie de l’action, appliquée aux organisations. March et Simon, de leur côté, apparaissent encore plus nettement comme des élèves de Barnard: ils insistent sur le fait que les acteurs, individus et organisations, contrairement à ce qu’affirment l’économie et la théorie rationaliste classique de la décision, ne choisissent pas, dans une situation donnée, la solution optimale, mais seulement une solution satisfaisante, c’est-à-dire qui soit telle que les dépenses nécessaires à la mise en œuvre des moyens qu’elle recommande pour atteindre le but soient inférieures aux recettes que celui-ci permet d’obtenir. S’opposant encore à l’économie classique, March et Simon remarquent que les possibilités de choix ne peuvent être déterminées par l’acteur, a priori et d’une manière purement abstraite, car elles varient avec la situation dans laquelle il se trouve. L’organisation, comme l’agent en son sein, ne recherche pas la meilleure adaptation à l’environnement, mais une adaptation satisfaisante à celui-ci. Une fois le but fixé, l’organisation, ou plus généralement l’agent, met en place un «schéma d’exécution» qui décrit les «processus opératoires standards» à mettre en place pour l’efficacité de l’action. Comme MacGregor et Argyris, ils recommandent de laisser aux employés une «latitude discrétionnaire d’action» dans le cadre de ce schéma.Si March et Simon développent, dans Les Organisations , l’idée d’une «rationalité limitée de l’organisation», comme l’indiquent Crozier et Friedberg, ils n’en tirent pas les conséquences pratiques et continuent d’analyser les organisations selon les schémas de la pensée rationaliste classique. C’est du moins le reproche que leur adressent les auteurs de L’Acteur et le Système (1977). Partant de la théorie de la «rationalité limitée», ils proposent un nouveau type d’analyse sociologique qu’ils appellent l’«analyse stratégique». L’agent ne choisit pas au hasard; ses choix dépendent certes de ses valeurs, mais aussi de la manière dont il perçoit la situation, et des moyens dont il dispose pour en tirer parti. Chaque agent a sa stratégie personnelle, joue son propre jeu dans le cadre du système d’actions dont il fait partie, et cherche à augmenter son pouvoir, ainsi qu’à développer l’étendue de la zone placée sous sa responsabilité. Dans le cadre des règles que développe chaque système d’action, les joueurs essaient de mettre en œuvre une stratégie, dont la fin est d’accroître leur influence. Le concept de stratégie permet de comprendre les «régularités de comportement» des acteurs. La stratégie n’est pas nécessairement consciente ou voulue, elle s’apparente au concept sartrien de «choix». Choisir de s’évanouir lorsque le monde apparaît insupportable, pour reprendre l’exemple de Sartre, est une stratégie au même titre que le plan d’action choisi par une firme commerciale pour lancer un produit sur le marché. Celui qui veut comprendre l’organisation a donc pour tâche de rechercher, par une enquête minutieuse sur le terrain, la stratégie des différents agents ou des divers groupes d’agents, comme Crozier l’a fait lui-même pour les ateliers du Monopole industriel, décrits dans Le Phénomène bureaucratique . Il découvrira que là où l’organigramme a prévu des rapports simplement techniques entre des catégories de travailleurs, s’instaurent entre eux des relations de pouvoir non voulues et imprévisibles. Les agents modifient, en effet, la structure d’une organisation en essayant de préserver et d’accroître les régions de pouvoir que l’organigramme leur reconnaît tout en limitant celles des autres.L’étude du changement passera aussi par une analyse des stratégies de pouvoir. Crozier et Friedberg insistent sur le fait que ce n’est pas en niant les relations de pouvoir que l’on pourra les faire évoluer. Toute vraie réforme passe, au contraire, par une reconnaissance du caractère fondamental des relations de pouvoir dans les relations humaines et l’action sociale.Ainsi, quel que soit son objet, la théorie des organisations a pour objectif principal l’adaptation des acteurs aux objectifs et à la structure organisationnels ainsi que celle de l’organisation aux variations de son environnement. En ce sens, elle n’est qu’une partie d’une théorie générale de l’action que certains sociologues, à la suite de Max Weber et de Parsons, tentent aujourd’hui d’édifier.
Encyclopédie Universelle. 2012.